Dans cette série d’articles, nous partageons vos histoires. Celles de vos familles, de vos grands-mères et arrières-grands-mères tatouées. Elles vous ont parfois parlé de leurs tatouages, parfois très peu. C’est pour cela que nous voulons recueillir ici vos témoignages. Transmettre pour ne pas perdre leur histoire. Faire vivre leur culture pour la rendre intemporelle.
Samia.
Je m'appelle Samia, j'ai 37 ans, j'ai grandi à Paris et j'y vis toujours. Je suis maman de 2 petits garçons et je suis cheffe de service d'un accueil de jour pour les familles en situation de rue.
Mes 2 grands-mères sont tatouées. L'une est décédée et l'autre est toujours encore en vie. Elle vit avec mes parents sur Paris et est âgée de 94 ans.
Ma 1ere grand-mère qui est décédée était tatouée au front, menton, cou, poitrine, les avants bras, les doigts. (Elle est la 2eme épouse de mon grand-père. La 1ere femme de mon grand-père étant tombée malade, ne pouvait plus s'occuper de mon père et de mes oncles lorsqu'ils étaient enfants. Il s'est donc remarié pour qu'elle puisse les élever. N.B : c'était son 3eme mariage. Elle a toujours été "répudiée" car elle ne pouvait pas enfanter)
Ma 2eme grand-mère est tatouée au front, menton, cou, poitrine, avant-bras.
Elles sont toutes les deux issues du même village en Algérie.
Ma 2eme grand-mère, étant atteinte d'une maladie n'a jamais pu nous raconter son histoire et l'origine de ses tatouages. Par contre, ma 1ere grand-mère qui a aidé mes parents à nous élever, nous racontait des contes autour de ses tatouages. Elle avait sur sa poitrine plusieurs tatouages, de ce que je m'en rappelle et ce qui a bercé toute mon enfance : une poule, 3 petits enfants, dattier... Elle nous racontait que les 3 enfants représentaient mes sœurs et moi-même; qu'elle a toujours souhaité avoir 3 enfants que même si elle n'a pas pu enfanter que mes sœurs et moi-même nous étions comme ses propres filles.
Elle nous racontait qu'à l'âge de la puberté (pour elle, c'était à 11 ans), les filles du village devaient se faire tatouer pour envoyer comme message aux familles qu'elles étaient prêtes pour le mariage. Elle disait que les tatouages étaient très courant, qu'elles utilisaient les épines des figues de barbarie et une fois fini, elles mettaient du charbon du "kanoun" afin d'obtenir la couleur bleutée.
Ma grand-mère nous racontait que chaque symbole avait des vertus de fertilité, de force, de chance... Elle se rappelait de la douleur qu'elle avait pendant des jours en regrettant de s'être fait tatouer si elle avait su la douleur que cela procurait. D'ailleurs ses 2 petites sœurs n'ont pas souhaité se faire tatouer.
Elle avait 12 ans lorsqu'elle s'est mariée pour la 1ère fois...
Elle est issue du village AOURIR de la commune IFIGHA de la région d'AZAZGA.
Ma grand-mère, même si je n'ai pas de lien de sang, je l'ai toujours considérée comme ma 2eme maman. C'est celle qui nous transmis la culture et les traditions kabyles, qui nous a donné le goût de porter les robes et bijoux kabyle. Elle était couturière à ses heures perdues et nous confectionnait des robes avec sa machine SINGER.
Lorsque je repense à son parcours de vie, je me dis qu'elle a eu plusieurs vies dans une vie : 3 mariages dont les 2 premiers elles a été répudiée car elle était stérile. Mon grand-père ne souhaitant pas forcément avoir d'autres avoir, il a avait besoin uniquement d'une femme pour élever ses fils et tenir le foyer.
Elle a été torturée durant la guerre d'Algérie, elle a été cuisinière pour les moujahidine. A cette époque là elle était avec son second mari. Le frère de mon grand père l'a vendue aux Français. Elle a été torturée. Elle me disait que chaque jour était peut-être son dernier. Elle a été électrocutée aux pieds et à la tête. Elle racontait ses anecdotes avec le regard dans le vide en revivant les scènes racontées.
Après le bac je ne savais pas vers quoi je voulais me diriger. Aimant l'histoire, je me suis dirigée vers une licence d'Histoire à la Sorbonne en me spécialisant d'année en année en la colonisation et décolonisation de l'Afrique, et plus particulièrement l'Algérie. J'ai lu énormément de livres autour de l'Algérie pour comprendre l'Histoire, l'histoire de ma famille. Avec du recul, j'ai compris pourquoi je me suis orientée vers cette discipline. J'avais besoin de comprendre pourquoi ma grand-mère avait subi cette torture. Pourquoi ils ont tout de même décidé de venir vivre en France après ce que les Français leur ont fait subir. Mes études d'Histoire ont fait ressurgir des interrogations auprès de ma famille, de la rage en moi qui montait...cela a été une vraie thérapie.
Une fois finie, je ne souhaitais plus être professeur d'histoire mais aider ceux qui sont marginalisés au sein de notre société. Là encore, l'histoire de ma famille aidée par des associations caritatives : alimentaire, cours de FLE pour ma mère.... m'a poussée à travailler aujourd'hui avec les familles primo arrivantes. Les aider à ouvrir leurs droits sociaux et surtout à ne pas courber l'échine face à l'administration française qui peut être impressionnante pour ces gens, comme cela l'a été pour mes grands-parents et mes parents.
Avec du recul, je sais que les grands-parents et les parents transmettent parfois indépendamment de leur volonté, leur trauma, leur histoire, à leurs enfants, petits-enfants et ce sur plusieurs générations... Je porte cette histoire comme la mémoire de mes ancêtres, de ma famille comme un précieux héritage. Ma grand-mère m'a toujours dit de ne "jamais oublier mes origines, ma culture, mes parents, et surtout ce que les Français ont fait à l'Algérie".
Un grand merci à Samia pour son très beau témoignage.
Appel à témoignages :
Vous aussi, vous aimeriez partager l'histoire de votre famille ? Votre parole est précieuse : écrivez-nous ici.
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