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Transmission culturelle : quand les femmes s'en mêlent

Dernière mise à jour : 18 oct. 2022

En recherche, on pense qu’on va trouver des réponses, et on finit surtout par trouver des questions. Ce blog ne fait pas exception. À l’origine, nous avions des questions simples. Passionnées par les tatouages que portaient les femmes dans les régions berbères d’Afrique du Nord, nous passions beaucoup de temps, le nez dans des livres d’anthropologues, à essayer de retrouver la signification d’un tatouage aperçu sur une photo de famille, ou encore d’un motif deviné sur un bijou ou un vêtement. Et de fil en aiguille, sans crier gare, ces questions se sont complexifiées et nous ont emmenées vers des horizons plus larges… Pourquoi cette femme a-t-elle tatoué ce motif sur son front ? Qui lui a transmis la signification de ce tatouage ? Comment se fait-il que ces motifs aient traversé tant de temps, depuis l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, et tant de régions géographiques ? Et puis un jour, il y a eu cette question… quel est le rôle des femmes dans la transmission culturelle ?

Crédit photo : @liamsabdi7


Nous avions l’impression d’être face à un étonnant paradoxe : dans l’imaginaire collectif, l’éducation artistique et la transmission culturelle sont souvent associées aux femmes ; pourtant, quand on pense aux grands artistes de l’histoire, on pense souvent à des grands hommes.


Femmes artistes, femmes éducatrices, femmes gardiennes de savoir… Quel rôle des femmes dans la transmission culturelle ? Nous avons eu envie de partager avec vous nos réflexions et nos lectures sur ce vaste sujet…



Femmes et transmission de la culture matérielle


Une des manières de transmettre une culture est matérielle. La production d’objets d’art ou d’artisanat permet de laisser à la postérité une marque de sa culture : le choix de la matière, des formes, des dessins raconte une histoire, l’histoire d’un peuple, de ses légendes, de ses croyances…


Les femmes ont toujours joué un grand rôle dans l’artisanat dans de nombreuses régions de la planète. Dans les régions amazighes (ou “berbères”), les femmes imaginaient et créaient des poteries et des tapis, un savoir-faire artisanal ancestral connu dans le monde entier aujourd’hui. Dans ces poteries et tapis, dont elles étaient les auteurs-artistes, elles incorporaient des motifs pour raconter des histoires et représenter des événements de la vie : la moisson, une naissance, les fêtes traditionnelles… Véritables artistes créatrices, elles transmettaient leur savoir-faire aux générations suivantes de femmes, ainsi que les symboliques derrières les motifs. Plus qu’une tradition anecdotique, cet acte a un portée culturelle forte : les familles décoraient leur maison de ces objets culturels, qui étaient aussi vendus, ce qui permettait d’assurer la transmission culturelle aux générations suivantes et dans d’autres régions géographiques (aujourd’hui, les tapis berbères sont connus dans le monde entier, même si la signification de leurs motifs se perd). La broderie est aussi un vecteur de transmission culturelle par les femmes au Viet Nam, ou encore par les brodeuses amérindiennes, en plus d’être un moyen d’émancipation financière.


Si le rôle des femmes dans l’artisanat est établi dans l’imaginaire collectif, leur place dans le monde de l’art - pour les cultures qui distinguent l’art de l’artisanat - n’a pas toujours été reconnue. On sait qu’il y a toujours eu des femmes artistes, mais elles ont été longtemps exclues des formations d’art, puis plus tard des musées. Berthe Morisot à l’époque des impressionnistes, ou encore Kay Sage et Leonor Fini lors du mouvement surréaliste ont contribué à des révolutions artistiques sans que leur travail soit réellement reconnu. Françoise Collins écrit : “ ‘Représentées’, les femmes le sont partout dans l’art, mais non pas présentes. Dites mais non disantes. Vues mais non voyantes.” dans son article “Entre poiêsis et praxis : Les femmes et l'art”. Le site du ministère de la culture détaille ici les dates clés à partir desquelles les femmes ont eu des droits d’accès aux milieu de l’art (en France, les femmes sont autorisées à passer les concours des Beaux-Arts depuis 1897), même si les artistes femmes sont encore en minorité dans les plus grands musées - et dans le monde de la culture en général (rapports de l’observatoire de l’égalité femmes-hommes ici pour des statistiques détaillées) -, en conséquences de siècles d’”oublis” de reconnaissance et d’absence de droits des femmes. Malgré ces inégalités de reconnaissance, de nombreuses femmes artistes ont participé et participent encore à la transmission culturelle à travers l’art : Edmonia Lewis, Marta Pan, Hend Al-Mansour, Irene Chou, Lorna Simpson, ou encore Hale Asaf n’en sont que quelques exemples.


Femmes et transmission de la culture immatérielle


Mais bien souvent, la culture n’est pas palpable. Elle n’est ni matérielle, ni écrite… Elle se vit à travers des paroles, des gestes, des chants, de la langue, de la gastronomie. Tout ce pan de la culture, celle qui est immatérielle, subtile, parfois même inconsciente, les femmes en sont bien souvent les gardiennes et les vecteurs.


Dans son ouvrage “La vaillance des femmes”, Camille Lacoste-Dujardin décrit et analyse les contes que les femmes amazighes inventaient et racontaient aux enfants en Kabylie : “les contes constituent le vecteur essentiel de la transmission des représentations et valeurs culturelles kabyles, en forme d’enseignement d’une génération à l’autre.” Elle y décrit notamment le personnage de l’ogresse Teryel, et comment les femmes s’en servaient pour véhiculer leurs messages aux générations suivantes.


Une autre forme de transmission culturelle immatérielle chez les femmes amazighes se fait par le tatouage. Les femmes se tatouaient le visage et le corps des motifs à la symbolique forte. Elles racontaient ainsi leur histoire et leurs valeurs. Ces symboles, elles en transmettaient la signification aux femmes des générations suivantes ; ainsi, la tradition du tatouage et leur signification a pu être transmise pendant des siècles dans toutes les régions amazighes d’Afrique du Nord, et elle subsiste encore aujourd”hui. Cette transmission est orale et les traces écrites sur le sujet sont difficiles d’accès, de sorte que ce pan de la culture risque de disparaître avec la disparition de cette tradition. Ces motifs qui représentent les différents aspects de la culture amazighe, on les retrouve aussi sur les poteries, les tapis et l’architecture; leur sens, en revanche, sans la transmission orale des femmes, est de moins en moins connu.



Femmes et transmission culturelle : un rôle invisibilisé ?


Les femmes participent à la transmission culturelle sous toutes ses formes : matérielle ou immatérielle, art et artisanat, chant, danse, langue, tatouages, contes…


Revenons un instant à notre paradoxe. Comment les femmes peuvent-elles autant être au cœur de la transmission culturelle alors que l’art et la culture sont si souvent associés aux hommes ?


Une piste de réponse vient de la distinction éducation versus création. Là où l’homme est considéré comme créateur, artiste, auteur, on attend de la femme qu’elle fasse l’éducation des enfants, qu’elles transmette et qu’elle accompagne la culture. Dans “Les femmes, les arts, et la culture”, Marlaine Cacouault-Bitaud et Hyacinthe Ravet écrivent : “L’accès des femmes à l’exercice professionnel d’une activité artistique, qui sera alors considérée dans certains cas comme un ‘métier’, s’est réalisé difficilement. Parfois, ces femmes, leurs œuvres et leurs pratiques ont été rendues invisibles alors même que leur présence est attestée. Aujourd’hui encore, la place qu’elles occupent au sein des professions artistiques demeure ambiguë, elles sont cantonnées à certains domaines (par exemple, au chant plutôt qu’aux instruments) et à certaines fonctions (enseignement et accompagnement versus création). (...) Ces recherches remettent en cause – en partie tout au moins – les frontières tracées entre les sexes et l’attribution du genre de la création, l’évidence étant souvent pensée du côté du masculin créateur. Elles en montrent les racines historiques et soulignent le poids des représentations.” (dossier à lire ici).


La représentation. Un moyen essentiel de redonner aux femmes leur mérite, de reconnaître leur rôle dans l'art, dans la culture et dans la transmission culturelle. La représentation est la motivation de l’écriture de notre livre “Les femmes vont, et les tatouages racontent” : montrer au monde la valeur des femmes dans la société amazighe, aux niveaux culturels, artistiques, économiques, éducatifs. Agricultrices, artisanes, mères, gardiennes du savoir… les femmes amazighes étaient les piliers de leur société. Nous avons voulu raconter leur histoire à travers des illustrations, des textes, et des tatouages, ces messagers poétiques et mystérieux de leurs pensées.


On espère que ces quelques pistes de réflexion vous auront permis d'apprécier à quelque point la contribution des femmes à la transmission culturelle est riche et diversifiée !


Mais le sujet de la transmission culturelle est infini, alors à très bientôt pour d’autres articles,

Camille & Rym


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